Pour s’en sortir, les exploitants doivent profiler leur programmation.A qui le tour? Après le cinéma Hollywood, quelle salle obscure sera condamnée à tirer la prise? A en croire Vincent Esposito, qui exploitait cinq salles indépendantes, dont le Hollywood: le prochain sur la liste est «le Camera Movie». Une hypothèse soutenue par le distributeur José-Michel Buhler. «Il y a une réelle possibilité que d'autres salles du centre-ville ferment, à leur tour, leurs portes.»
Et pourtant, José-Michel Buhler se souvient encore de l'époque sacrée du Hollywood: «Il y a 20 ans, on disait que ce cinéma était l'un des plus rentables de Suisse.» Mais depuis, les habitudes des cinéphiles ont changé, le paysage cinématographique genevois, aussi. Les Multiplex ont fait leur apparition, avec leurs nombreuses salles où les portions de pop-corn, bonbons et autres chips sont aussi généreuses que les sièges ou encore la place offerte pour les jambes.
Ces nouvelles salles comptent en outre un équipement de dernière génération. «Les petites salles n'ont plus les moyens d'investir. D'une part, parce que ce matériel coûte cher. D'autre part, parce que l'architecture des salles ne se prête pas toujours à ces aménagements dernier cri.»
A en croire les spécialistes, les Genevois resteraient toujours de grands amateurs de 7e art. Pourtant, la fréquentation ne cesse de baisser. Elle est passée de deux millions de spectateurs à la fin des années 80, à un peu plus de 1,8 million. Et sur ce dernier chiffre, encore faut-il noter que le Multiplex de Balexert draine plus de 53% des spectateurs. Alors quelle issue pour les petites salles indépendantes du Centre-ville?
José-Michel Buhler en voit au moins une, celle du cinéma de niche. Des salles comme les Scala aux Eaux-Vives qui offrent des séances «Art et essai». «Le public n'est pas énorme mais stable», assure José-Michel Buhler.
L'exploitant du City et du Central, Pierre E. Desponds, a, quant à lui, sa propre recette: «Depuis quelques années, j'axe ma programmation sur le public féminin. Et ça marche. Plus de 80% des clients du City sont des femmes. Pour s'en sortir, il faut une programmation très pointue.» En outre, ce dernier a renoncé volontairement aux entractes et aux pop-corn. D'où la disparition des problèmes d'odeurs, de bruits et de saleté.
Vincent Esposito, lui, craint désormais d'être lâché par le quatuor des gros distributeurs: «Un distributeur n'a pas besoin des salles de quartier. Si je n'avais pas obtenu «Superman, le retour» pour le Hollywood, je n'aurais pas pu le diffuser aussi au Forum», relève-t-il. Sa crainte est-elle justifiée? Le responsable de la programmation pour la Suisse romande chez Fox Warner n'a pas souhaité répondre à cette question précise, à savoir: allez-vous continuer de fournir des «blockbusters» aux autres salles exploitées par Vincent Esposito (dont le Forum et Art-Ciné)?
Pathé dirige la valse des salles obscuresAvec plus de 1,8 million de visiteurs dans ses salles obscures, Genève reste malgré tout un canton où les gens fréquentent beaucoup les cinémas. La généralisation des home-cinémas et la sortie toujours plus précoce des films en DVD n'affectent que partiellement le 7e art.
Par contre, le prix des loyers a contribué à faire disparaître l'ABC, le Plaza, l'Alhambra, maintenant le Hollywood, et sans doute prochainement le Caméra Movie, le Ciné 17 et les Grottes (dont le loyer annuel dépasse les 300 000 francs). Sans parler de la disparition des Cosmos à Meyrin.
Le secteur de l'exploitation des salles a lui aussi été victime d'une certaine «consolidation» économique. L'époque où Genève comptait une trentaine de cinémas exploités par presque autant de patrons est bien révolue.Il y a d'abord eu Métrociné, fondée en 1985 par Edipresse (49%) et le vaudois Miguel Stucky (51%). Ce groupe a grandi, absorbant des salles existantes, en ouvrant de nouvelles pour arriver à contrôler 32 salles réparties dans toute la Suisse romande. En 1999, Europlex (créé par un fonds d'investissement développé par Georges Soros) rachète au prix fort Métrociné.
En novembre de la même année, le groupe australien Village Roadshow ouvrait le Ciné Village Balexert, le plus gros multiplexe de Genève. Mais deux ans plus tard, faute de rentabilité suffisante et d'une programmation adéquate, ce multiplexe est cédé au groupe Pathé. Enfin, en mai dernier, on apprenait que Pathé rachète les salles d'Europlex. Dès octobre, Pathé contrôlera près de 80% des parts de marché sur Genève. A ce propos, relevons que les trois salles des Grottes n'ont pas encore trouvé de repreneur à ce jour.
Du côté des petites salles, reste enfin le Bio 72 à Carouge. La fondation chargée de sa renaissance a annoncé l'ouverture du chantier de rénovation. La réouverture, elle, est prévue pour la mi-décembre 2006. La fondation cherche encore un exploitant.
Les acteursLes quelque 1,8 million de tickets de cinéma vendus par année se répartissent ainsi:
Pathé Balexert: 54% (avec 13 salles comprenant plus de 2900 sièges);
Europlex: environ 24% (avant sa reprise cet automne par Pathé, qui ne reprendra pas les trois écrans des Grottes, soit 1000 sièges);
Procinémas (Vincent Esposito): avec le Hollywood, ses cinq salles contrôlaient entre 5 et 7% des parts de marché (plus de 850 sièges);
Pierre E. Desponds (City et Central): 5%;
Les autres (Perrière, Dutoit, etc.): environ 10% (répartis entre les Scala, le Broadway, le Cinélux et le Nord-Sud).
Tribune de Genève. Emmanuelle Drevon et Serge GuertchakoffPublié le 05 août 2006