01 août 2006

Le cinéma change de bobine


L'ère des projections numériques en salles semble enfin venue. L'enjeu est avant tout économique, permettant de réduire le coût des copies. Mais le numérique ouvre aussi la porte à de nouvelles expériences cinéma.

DOSSIER
Fini les pellicules, place aux puces? Depuis une bonne dizaine d'années, tout le monde en parle, mais l'ère du tout numérique au cinéma semble cette fois très proche. «Nous vivons actuellement la révolution du numérique, ce qui signifie que d'ici peu, toutes les salles de cinéma pourront présenter leurs films en numérique», lançait le 6 juillet Stephan Paridaen, président de la division Barco Media and Entertainment, qui va équiper d'ici 18 mois les 130 salles belges du groupe Kinepolis (lire page 4) tandis que le groupe français Thomson, associés à Technicolor, vient d'annoncer son intention d'équiper 15 000 des quelque 36 000 écrans nord-américains d'ici dix ans.


Une norme universelle
La raison de ce soudain emballement est le choix, il y a tout juste un an, d'une norme de projection, le 2K, et d'une technologie de référence, le DLP Cinema de Texas Instrument. Afin de réduire les coûts d'une révolution technologique aussi fondamentale que l'arrivée du cinéma parlant dans les années 20, il était en effet primordial pour l'industrie de fixer des normes uniques rendant tout nouveau matériel compatible avec l'ensemble de la production. Les sept principaux studios américains - Disney, Fox, MGM, Paramount, Sony, Universal et Warner Bros - ont à cette fin créé dès 2002 un groupe de réflexion, la Digital Cinema Initiative (DCI).
C'est qu'à Hollywood le rêve d'une technologie permettant de se débarrasser de toute copie film - support physique onéreux - remonte à... soixante ans! En 1948, déjà, Samuel Goldwyn, patron de la MGM, émettait l'idée d'utiliser les faisceaux hertziens de la télévision naissante pour diffuser les films directement dans les salles. En 2006, on en est toujours à tirer des centaines de copie à partir d'un original, le «master», copies qu'il faut ensuite acheminer aux quatre coins de la planète cinéma. Dont coût: on estime que les studios économiseront 750 millions de dollars par an une fois les bobines disparues. Or le transfert d'une oeuvre pourra se faire à terme par fibre optique ou satellite.
Avec la norme 2K, d'une qualité équivalente au 35 mm, le public, lui, ne verra pas de différence. Mais fini, les griffes: une copie film s'abîme après 30 projections contre 1 000 pour le support numérique. Pour les exploitants de salles, il y aura même d'autres avantages: la projection sera gérée par un serveur à partir duquel on pourra gérer la programmation.
Pour les petits producteurs et distributeurs, le numérique pourrait aussi permettre à terme d'avoir accès à des films auxquels l'exploitation actuelle ne donne pas de place. «Saraband», la dernière oeuvre d'Ingmar Bergman, a été distribué en numérique, circulant sur un équipement de projection mobile dans les salles qui n'étaient pas encore équipées. Mais encore faudrait-il que le schéma de cette nouvelle économie du cinéma tienne compte de sa diversité. La Commission européenne s'en inquiète (lire page 4). Qui dit projection numérique dit aussi événements en direct ou films en 3D, dont rêvent des James Cameron ou des George Lucas. Ou comment refaire des salles le lieu d'une expérience unique face à la concurrence du home cinema.


Reste une question linguistique: irons-nous encore voir des «films»? Ou des fichiers?

ALAIN LORFÈVRE© La Libre Belgique 2006