12 août 2006

Frédéric Maire redonne du mordant au Léopard

Première édition réussie mais épuisante pour le nouveau directeur du festival.

Fin de festival chaotique à Locarno. Vendredi soir, Frédéric Maire était victime d'un malaise devant les quelques milliers de spectateurs venus applaudir le Léopard d'honneur décerné au cinéaste russe Alexsandr Sokurov (lire ci contre). Gardé en observation durant la journée de samedi, le nouveau directeur du festival aura du coup manqué la lecture du palmarès par le jury. Lequel a finalement primé Das Fraulein, une production suisse qui aura conduit à la démission, en cours de festival, de Barbara Albert. Membre du jury, cette dernière avait été consultante sur le scénario du film (lire ci-dessous).«Apprendre à se reposer»Le coup de fatigue de Frédéric Maire – aux dernières nouvelles, il ne s'agirait heureusement que de cela – explique paradoxalement la bonne tenue générale de cette 59e édition. Depuis quelques mois, à chaque rencontre entre les organisateurs du festival et la presse, Marco Solari, le président de la manifestation, n'affirmait-il pas que si son directeur avait encore quelque chose à apprendre, «c'est à se reposer»? Une manière de reconnaître – entre amusement et inquiétude – le travail de titan effectué par le Neuchâtelois depuis son entrée en fonction, il y a tout juste douze mois.Des efforts qui se sont avérés particulièrement payants au niveau de la compétition officielle, qui a retrouvé cette année l'exigence cinématographique propre aux grands concours internationaux. Mais pas seulement! En renouant le dialogue avec les principaux distributeurs helvétiques, Frédéric Maire a aussi redonné un sens aux projections de la Piazza Grande. Ici, ne passeront désormais que des métrages exploités ultérieurement en salles. Le message se veut limpide: centre névralgique du festival, l'écran géant de Locarno doit également constituer une plateforme de lancement idéale pour la distribution de films en Suisse. Avec, à terme, l'idée de créer (ou de recréer) un Haut-Lieu médiatique – et médiatisé – du cinéma dit «populaire et de qualité». Tout aussi habile aura été la décision d'ouvrir plus largement le festival au 7e art helvétique. Là encore, on imagine l'ampleur du travail. C'est que l'affaire était délicate. Il s'agissait de ne pas provincialiser la manifestation tout en caressant le cinéma suisse dans le sens du poil. Le compromis a été trouvé en instituant une journée entièrement dédiée aux productions nationales, assortie d'une présence discrète mais constante d'œuvres du cru dans les diverses sections de la manifestation.Tests délicatsSi tout cela a dans son ensemble bien fonctionné, Frédéric Maire aura encore dû apprendre à faire face aux réalités du terrain. Réagir au décès du réalisateur Daniel Schmid, en tout début de festival. Faire taire une fatigue accumulée au gré de rendez-vous tous plus ou moins incontournables. Sourire aux conférences de presse du matin et danser le soir un tango avec Aki Kaurismäki. Assumer l'erreur de ne pas avoir communiqué sur le rôle – il est vrai mineur – qu'avait joué un membre du jury dans la scénarisation d'un des films en concours. Voir la polémique enfler plus que de mesure et ne pas enrager. Autant de test à passer, d'épreuves à surmonter. Samedi, les docteurs ont interdit au Neuchâtelois de se rendre à la fête de clôture de la manifestation. Il en était pourtant l'unique héros. Douloureuse victoire, mais victoire quand même.

Emmanuel Cuénod (Tribune de Genève)

Un arrière-goût de malaise plane sur le palmarès
Des joies, des déceptions: c'est toujours la même chose, un palmarès. Celui de ce 59e Festival international du film de Locarno y fait-il exception? Dans l'absolu, non. Sauf que le triomphe de Das Fräulein d'Andrea Staka, Léopard d'or à l'unanimité pour l'un des films les plus appréciés de la compétition, va rejaillir directement sur le cinéma suisse: il en était le seul représentant du concours.Les autres prix du jury officiel ne se discutent pas trop. Meilleure mise en scène pour l'excellent Le Dernier des fous de Laurent Achard, Prix spécial du jury pour le plaisant Half Nelson de Ryan Fleck, meilleure interprétation féminine à l'étonnante Amber Tamblin dans le noirâtre Stephanie Daley de Hilary Brougher, et meilleure interprétation masculine à Burghart Klaussner dans Der Mann von der Botschaft de Dito Tsintsadze. Seule la mention spéciale au pénible Body Rice du Portugais Hugo Vieira da Silva paraît déplacée. Sans compter l'oubli de quelques films enthousiasmants comme Agua, Dies d'agost, Jimmy della collina ou encore Ça rend heureux du Belge Joachim Lafosse, projeté en toute fin de festival. Dans trois jours, ces omissions sembleront sans importance.Bientôt sur les écransCe qui restera plutôt, c'est bien l'impression d'un malaise. Malaise né d'une polémique et amplifié ces derniers jours par une presse, surtout locale, qui voyait là matière à scandale. Barbara Albert, consultante au scénario de Das Fräulein, et membre du jury international, légitimement accusée de conflits d'intérêts, s'en était donc retirée. La plupart des médias, y compris nous, avaient alors noté que l'affaire risquait de pénaliser le film Das Fräulein. Et qu'il ne figurerait certainement pas au palmarès. Puis les choses avaient encore enflé. Les rumeurs parlaient même de démission du jury au complet. Et puis non. Samedi, l'annonce des gagnants a laissé tout le monde un peu perplexe. Contre toute attente, le film qui partait avec le plus d'handicaps diplomatiques dans la course au Léopard d'Or coiffe tous ses concurrents au poteau. Stupeur!A cela deux explications: soit le jury a d'emblée adoré Das Fräulein et a décidé Barbara Albert à démissionner pour qu'on ne l'accuse pas de collusion; soit il a cherché à désamorcer la polémique en clamant son indépendance sans se soucier des pressions. On ne saura jamais la vérité. Lorsque Das Fräulein sera à l'affiche en salles, la polémique sera même certainement oubliée. Et contrairement à la plupart des autres films en lice, celui d'Andrea Staka sortira: il est le seul à avoir déjà un distributeur…

Pascal Gavillet (Tribune de Genève)