Le Courrier - SEANCE TENANTE

Le Ciné qua non, l'Atlantic, le Hollywood... A Lausanne comme à Genève, les salles de cinéma indépendantes tombent comme des mouches.
Dans la loi, rien n'empêche ces fermetures: l'exploitation d'un cinéma est une activité commerciale soumise aux lois du marché. Enjeux. Il est des petites entreprises qui n'en finissent pas de connaître la crise. Une concurrence sans merci, des loyers exorbitants et le succès du DVD ont eu raison de nombreux cinémas indépendants de Suisse romande. En nombre de victimes, Lausanne remporte la palme haut la main: en cinq ans, dix salles y ont cessé leur activité. Genève suit de près, avec au moins cinq exploitations fermées récemment1. C'est la loi du marché, dit-on. Tout le monde le déplore... mais personne n'y peut rien. «Le cinéma est le domaine le plus libéral qui soit», explique Gilles Gardet, directeur de l'Aménagement du territoire du canton de Genève. «Il n'existe aucune base légale pour sauver les salles. Au mieux, on peut classer un bâtiment, à l'instar du Plaza. Mais cela ne garantit pas qu'on y exploite un cinéma (lire page suivante, ndlr). Nous n'avons aucun moyen non plus de contrer l'installation d'un nouveau multiplex, à la Praille par exemple, dans la mesure où il est conforme au plan localisé de quartier.» «FAILLITE DU SYSTÈME»Les Villes et les cantons, eux, soutiennent les structures associatives – le CAC et le Spoutnik à Genève; la Cinémathèque suisse, le Zinéma et l'Oblo à Lausanne. «C'est très attristant qu'une entreprise culturelle disparaisse. Mais il faudrait que les sociétés privées changent de statut pour entrer dans nos critères de subventions», précise Jean-François Rohrbasser, des Affaires culturelles de la Ville de Genève. Quant au Vaudois Claude Ruey, il est opposé à l'idée que les communes délient leur bourse: «Ce serait la faillite du système. On soutiendrait certains exploitants, qui sont aussi de gros financiers», avance le conseiller national libéral et président de la Fondation vaudoise pour le cinéma. D'autres relèvent encore que seule la Confédération est compétente en matière de cinéma... Sauf qu'à Berne, la Section cinéma de l'Office fédéral de la culture contrôle la diversité des films, pas des exploitants. Pour l'instant, la fermeture des salles n'affecterait pas l'équilibre entre les genres (fiction, docu, etc.), les nationalités et les statuts des films (indépendants ou major). «Le public suisse est plutôt intelligent et s'intéresse aux films indépendants, explique Nicolas Bideau, chef de la Section. Sur le plan de l'offre, nous sommes favorisés par rapport à d'autres pays d'Europe.» Les multiplex non plus n'auraient rien changé à la diversité. Pourtant, depuis le rachat d'Europlex par Gaumont-Pathé, le groupe français possède désormais près de 75% des parts de marché à Genève et à Lausanne. «Mais la place pour les indépendants est restée la même qu'avant. Les salles que nous avons rachetées existaient déjà», explique Grégoire Schnegg, directeur général de Pathé Suisse. «Si chacun fait son travail correctement, il y a de la place pour tout le monde, même pour les salles à écran unique qui projettent des blockbusters. Je ne veux pas juger le cas du Hollywood, mais sa disparition n'est pas due à notre présence.» Mais le directeur le concède, le marché genevois arrive à saturation. «Si un nouveau multiplex devait voir le jour aujourd'hui, il aurait une influence notoire sur les autres salles (allusion à l'énorme complexe prévu à la Praille, ndlr)». URGENCEBref, le temps est compté. «Si on ne passe pas à la vitesse supérieure, il n'y aura bientôt plus de salles indépendantes», prévient Frédéric Gonseth, cinéaste et président de l'Association romande des réalisateurs. «La Suisse romande ressemblera bientôt aux villes de province françaises, avec un cinéma qui projette des blockbusters et un ciné-club qui propose épisodiquement des films d'auteurs.» Le cinéaste vaudois milite pour un soutien étatique aux salles à écran unique, «car elles jouent un rôle social et d'animation des centres villes». Il souhaite aussi une aide à la programmation, «pour enrayer la perte de la diversité». Genève n'est pas restée sourde à ces inquiétudes. «Une réflexion s'est amorcée entre la Ville, l'Etat et la profession, reprend M. Rohrbasser. Mais nous sommes encore en phase de travail.» Lausanne prévoit elle aussi de revoir sa politique culturelle en matière de cinéma. «Un rapport sortira en 2007. Mais je peux déjà vous dire qu'il ne sera pas question de financer des salles privées», affirme la municipale Silvia Zamora, en charge de la Culture, du logement et du patrimoine. Mais si Genève envisage la mise en commun des forces au-delà de ses frontières, avec la création éventuelle d'une fondation, Lausanne se montre plus sceptique. Et Mme Zamora de souligner: «La collaboration interculturelle est minime dans notre culture politique. Je vous laisse imaginer ce qu'il reste à accomplir.»
Raphaëlle Bouchet - Le Courrier - 16.09.06
Note : 1A Lausanne: le Bourg, l'ABC, le Lido, l'Athénée, l'Eldorado, le Romandie, le Palace, le Richemont, l'Atlantic et le Ciné qua non. A Genève: l'Alhambra, l'ABC, le Plaza, les Cosmos et le Hollywood.
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